Le chemin des urnes
(Plage de Yport, avril 07)
Dans mes souvenirs d'enfance, le vote électoral se déroulait avec une précision parfaite dans un espace immense, avec des isoloirs immenses, avec un sentiment d'importance immense. C'était un moment de calme et de fluidité où chacun enchaînait rapidement une série de gestes simples, le tout empreint de solennité. Comme à la messe. Mes souvenirs d'adulte ont juste été un peu nuancés sur les bords, avec des isoloirs plus étriqués, des installations plus sommaires, des salles plus petites... et beaucoup moins de solennité. Aujourd'hui je me suis étonnée, j'ai soupiré, j'ai souri et j'ai eu une curieuse impression: celle de voir la France, toute la France, venue à un rendez-vous sérieux qui se serait transformé en désorganisation complète. Après quatres files d'attentes différentes je trouvais enfin le bon bureau, puis la queue des petits papiers suivis de l'isoloir. Le temps déjà de mesurer une pagaille surprenante: la nervosité de la dame aux bulletins qui me demande brusquement d'où je sors l'enveloppe bleue qu'elle vient de me donner, la sollicitude inquiète d'un intervenant chargé de pallier à la mauvaise signalisation des lieux en s'assurant que chacun a trouvé le bureau qui lui correspond, l'affolement de certaines personnes qui ne comprenant plus rien à la situation, ajoutent à la confusion générale par leurs questions. Enfin l'enveloppe bleue à la main je reprens une nouvelle file dont la longueur impressionnante est régulièrement coupée pour les femmes enceintes et les petits vieux à canne. Cette fois c'est la lenteur du préposé au registre, qui parait avoir déjà fêté les résultats, qui dénote. Une vieille dame qui vient de voter, perdue dans la foule qui l'enserre, renonce à trouver la sortie et reste un bon moment, plantée sur sa canne, à nous raconter les élections d'antan. Derrière moi un jeune homme bien habillé et un peu ahuri, la main droite dans une chaussette blanche, se fait expliquer par ses voisins le déroulement des opérations. Il se fait encore expliquer l'obligation de prendre tous les bulletins, va dans l'isoloir pour en ressortir cinq minutes plus tard affolé car il a jeté son enveloppe par mégarde. Il en demande une autre, on lui explique que ce n'est pas possible, engueulade de part et d'autre. On l'envoie fouiller dans la poubelle et pendant qu'il se débrouille on s'étonne de la quantité industrielle de bulletins qu'il a emporté. Le temps passe, toujours plus de monde, de questions dans les files d'attente, d'étonnement dans les regards. Vingt minutes plus tard le jeune homme pas doué ressort de l'isoloir, les poches de sa veste débordantes de papiers... et les deux mains dans des chaussettes vertes ! Il fait remarquer en passant, mais en souriant, que refaire encore la queue ne lui plaît pas. Une envie flagrante de se faire remarquer, lui et ses moufles/chaussettes tenant l'enveloppe bleue qui sent le bulletin nul à plein nez. En sortant je me suis souvenue que je vais voter toujours à peu près à la même heure et que les fois précédentes, le peu de monde que je croisais m'attristait sur le manque d'investissement civique en général. Ce ne sera peut-être pas une journée à marquer d'une pierre blanche, mais j'ai été contente de voir ce débordement imprévu.